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On n'apprécie pas toujours comme il faudrait ce genre de croyances sans
jugement, et qui tiennent à la pratique. La coutume n'offense pas l'esprit.
Pourquoi ? Parce qu'elle ne demande pas approbation. Par exemple la guerre
ne se donne pas comme raisonnable ; aussi n'y a-t-il point un seul homme de
guerre qui n'ait sévèrement jugé la guerre ; ce n'est qu'un état de fait. Mais au
contraire la paix est une idée ; la paix demande approbation ; elle frappe
indiscrètement au plus haut de l'esprit. Ici vous trouvez une étonnante
résistance, et qui n'a rien de vil. Tel s'accommode d'une servitude volontaire
qui ne voudrait point d'une liberté forcée. Ces soins de garde et de vigilance
ajournent souvent l'examen de raison ; et beaucoup penseraient sagement si on
les en pressait moins. En quoi il y a autre chose que cette animale impéné-
trabilité, que représente le crocodile par ses écailles ; toutefois ce n'est pas un
petit inconvénient si, par l'insistance, on fait l'alliance de l'obstination animale
et de l'humaine fermeté.
Il ne faut pas tellement se soucier de persuader. Nous croyons trop qu'une
pensée n'est pas pensée si elle ne se rend à nos sommations. N'ayez pas peur.
Le travail se continue en cet intérieur mobile ; il n'y a point d'argument perdu.
La raison est un fait auquel tous ont part, par le refus, par le silence, par un
genre de négligence. Que l'écrivain passe donc comme le veilleur, qui frappe
un bon coup, et puis s'en va.
22 novembre 1923.
Alain, Esquisses de l homme (1927) 82
Esquisses de l homme (1927), 4e édition, 1938
XXXVI
Arnolphe
5 juin 1928.
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La force a mauvaise grâce ; et, dès qu'elle prétend à être aimée, elle est
ridicule. La plus naïve des femmes sait cela. Arnolphe peut enfermer Agnès ;
il suffit d'un tour de clef. « Je sais que vous m'aimez », dit le barbon. « Si je
vous aime, et si vous le savez, pourquoi m'enfermez-vous ? » « Il est vrai, se
dit le barbon. Et comment pourrait-elle ne pas m'aimer ? Je suis riche,
généreux, plein d'esprit. Mascarille me le disait encore hier. Et qui aimerait-
elle ? Elle ne voit que moi. Ouvrons la porte. » Il tourne la clef. Mais il n'est
pas au coin de la rue qu'il se reprend. « Cette jeunesse est facile à tromper.
Quelque galant rôde peut-être par ici. Liberté n'est pas licence. Et au surplus je
lui dois protection et conseil. Mon conseil est qu'elle m'aime ; et c'est pour son
bien. Fermons la porte. » Il revient ; il donne un tour de clef. « Ce n'est pas,
dit-il en regardant la clef, que je me méfie d'elle. Au contraire j'ai pleine
confiance. Qu'est-ce qu'aimer, qu'est-ce qu'être aimé si ce n'est se fier ? Elle
est libre, cela va sans dire. Qu'elle choisisse. Mais je veux qu'elle me choi-
sisse. Si elle hésitait, ce serait le signe d'un étrange aveuglement. Quelqu'un a
écrit que la liberté n'est point la liberté de mal faire, ni de se tromper. Cette
Alain, Esquisses de l homme (1927) 83
clef la met en garde. Ce n'est qu'une sûreté de plus, et presque inutile. Presque.
Oh! si j'étais sûr qu'elle ne ferait jamais que ce qui me plaît, comme je la
laisserais libre de faire ce qu'elle voudrait ! » Cependant la pensée s'envole ; la
pensée n'est jamais prisonnière ; la pensée n'est jamais sous clef. Comment
pourrait-on reconnaître un droit à celui qui force ? A-t-on le moindre devoir
de bonne volonté envers celui qui vous enferme ? Tu seras trompé, Arnolphe ,
tu l'es déjà ; et tu le sais.
« Oui, je le sais. Je devine ces pensées rebelles. Soit. Du moins elles ne
seront que des pensées. Je fermerai les portes. Ou plutôt, puisque je les
fermais déjà, je les fermerai à grand bruit. J'ôterai toute espérance. Les actions
seront à moi. La pensée suivra. Comme on voit que les oiseaux en cage chan-
tent pour leur maître. Et n'ai-je pas lu aussi que l'on commence par craindre
Dieu, et qu'on finit par l'aimer ? Soyons tyran, mais sans faiblesse. Que n'ai-je
commencé par là ? »
Cette situation de l'homme mûr est la situation humaine. L'art d'aimer est
profondément caché. Ce genre d'ambition, assez noble, qui cherche un pou-
voir de sentiment ne peut s'empêcher de l'essayer, ce pouvoir, ce qui fait
aussitôt révolte parmi les sujets de ce sage, monarque. L'esprit de résistance
n'est pas assez estimé ; cela veut dire exactement que l'on n'aime pas assez. Le
remède à ces situations c'est d'aimer encore plus. Et ici l'âme généreuse
n'hésite pas. Ainsi l'autorité a tort et donne des armes contre elle. Il n'y a point
de tyran qui ne prétende à être aimé. Il n'y a point de tyran qui y réussisse. La
plus grande concession qu'il puisse faire est de laisser la porte grande ouverte,
mais en cachant un geôlier derrière, qui a mission de la fermer dès qu'on fait
mine de sortir. Arnolphe est ridicule, parce qu'il ne pense même pas qu'Agnès
puisse former une opinion ou avoir une préférence. Alceste est ridicule aussi,
parce que, tout en aimant selon la règle chevaleresque, il n'a pourtant point
compris la règle du jeu, qui est que Célimène se plaira d'abord à déplaire, afin
d'essayer ce grand pouvoir qu'on lui a noblement remis. C'est ainsi que, dans
les discussions où il est convenu que l'on peut tout dire, on voit paraître
aussitôt les opinions les plus déplaisantes. L'esprit libre, c'est d'abord l'esprit
de contradiction. Celui qui tente d'instruire, de conquérir, de gouverner enfin,
sous le signe de la liberté, doit faire provision de sagesse. Et il me semble que
la première précaution à prendre ici contre soi, si l'on ne peut tout permettre,
est de séparer l'action et l'opinion ; car l'action se heurte naturellement aux
forces, et toujours doit composer, ce qui fait que le tyran des actions offense
moins ; au lieu que l'opinion ne veut changer que par des raisons ; c'est
pourquoi le bâton ici, même seulement montré, offense et sans remède.
5 juin 1928.
Alain, Esquisses de l homme (1927) 84
Esquisses de l homme (1927), 4e édition, 1938
XXXVII
Fidélité
5 février 1926.
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Quand on veut dire qu'il y a de la volonté dans l'amour, tous résistent,
d'après l'antique idée d'une fatalité des passions . En quoi il y a du vrai ; car on
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