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naissons les esprits bien quilibrs , c'est--dire, au fond, les hommes
parfaitement adapts la vie ? Ce qui caractrise l'homme d'action, c'est la
promptitude avec laquelle il appelle au secours d'une situation donne tous les
souvenirs qui s'y rapportent ; mais c'est aussi la barrire insurmontable que
rencontrent chez lui, en se prsentant au seuil de la conscience, les souvenirs
inutiles ou indiffrents. Vivre dans le prsent tout pur, rpondre une excita-
tion par une raction immdiate qui la prolonge, est le propre d'un animal
infrieur : l'homme qui procde ainsi est un impulsif. Mais celui-l n'est gure
mieux adapt l'action qui vit dans le pass pour le plaisir d'y vivre, et chez
qui les souvenirs mergent la lumire de la conscience sans profit pour la
situation actuelle : ce n'est plus un impulsif, mais un rveur. Entre ces deux
extrmes se place l'heureuse disposition d'une mmoire assez docile pour sui-
vre avec prcision les contours de la situation prsente, mais assez nergique
pour rsister tout autre appel. Le bon sens, ou sens pratique, n'est vraisem-
blablement pas autre chose.
Henri Bergson, Matire et mmoire. Essai sur la relation du corps l esprit. (1939) 92
Le dveloppement extraordinaire de la mmoire spontane chez la plupart
des enfants tient prcisment ce qu'ils n'ont pas encore solidaris leur
mmoire avec leur conduite. Ils suivent d'habitude l'impression du moment, et
comme l'action ne se plie pas chez eux aux indications du souvenir, inverse-
ment leurs souvenirs ne se limitent pas aux ncessits de l'action. Ils ne
semblent retenir avec plus de facilit que parce qu'ils se rappellent avec moins
de discernement. La diminution apparente de la mmoire, mesure que l'intel-
ligence se dveloppe, tient donc l'organisation croissante des souvenirs avec
les actes. La mmoire consciente perd ainsi en tendue ce qu'elle gagne en
force de pntration : elle avait d'abord la facilit de la mmoire des rves,
mais c'est que bien rellement elle rvait. On observe d'ailleurs cette mme
exagration de la mmoire spontane chez des hommes dont le dveloppe-
ment intellectuel ne dpasse gure celui de l'enfance. Un missionnaire, aprs
avoir prch un long sermon des sauvages de l'Afrique, vit l'un deux le
rpter textuellement, avec les mmes gestes, d'un bout l'autre 1.
Mais si notre pass nous demeure presque tout entier cach parce qu'il est
inhib par les ncessits de l'action prsente, il retrouvera la force de franchir
le seuil de la conscience dans tous les cas o nous nous dsintresserons de
l'action efficace pour nous replacer, en quelque sorte, dans la vie du rve. Le
sommeil, naturel ou artificiel, provoque justement un dtachement de ce
genre. On nous montrait rcemment dans le sommeil une interruption de
contact entre les l. ments nerveux, sensoriels et moteurs 2. Mme si l'on ne
s'arrte pas cette ingnieuse hypothse, il est impossible de ne pas voir dans
le sommeil un relchement, au moins fonctionnel, de la tension du systme
nerveux, toujours prt pendant la veille prolonger l'excitation reue en
raction approprie. Or c'est un fait d'observation banale que l' exaltation
de la mmoire dans certains rves et dans certains tats somnambuliques. Des
souvenirs qu'on croyait abolis reparaissent alors avec une exactitude frap-
pante ; nous revivons dans tous leurs dtails des scnes d'enfance entirement
oublies; nous parlons des langues que nous ne nous souvenions mme plus
d'avoir apprises. Mais rien de plus instructif, cet gard, que ce qui se produit
dans certains cas de suffocation brusque, chez les noys et les pendus. Le
sujet, revenu la vie, dclare avoir vu dfiler devant lui, en peu de temps, tous
les vnements oublis de son histoire, avec leurs plus infimes circonstances
et dans l'ordre mme o ils s'taient produits 3.
Un tre humain qui rverait son existence au lieu de la vivre tiendrait sans
doute ainsi sous son regard, tout moment, la multitude infinie des dtails de
son histoire passe. Et celui, au contraire, qui rpudierait cette mmoire avec
tout ce qu'elle engendre jouerait sans cesse son existence au lieu de se la
reprsenter vritablement : automate conscient, il suivrait la pente des habi-
1
KAY, Memory and how to improve it, New York, 1888, p. 18.
2
Mathias DUVAL, Thorie histologique du sommeil (C. R. de la Soc. de Biologie, 1895,
p. 74). - Cf. LPINE, Ibid., p. 85, et Revue de Mdecine, aot 1894, et surtout PUPIN.,
Le neurone et les hypothses histologiques, Paris, 1896.
3
WINSLOW, Obscure Diseases of the Brain, p. 250 et suiv.RIBOT, Maladies de la
mmoire, p. 139 et suiv. -MAURY, Le sommeil et les rves, Paris, 1878, p. 439. -
EGGER, Le moi des mourants (Revue Philosophique, janvier et octobre 1896). - Cf. le
mot de BALL : La mmoire est une facult qui ne perd rien et enregistre tout . (Cit
par ROUILLARD, Les amnsies. Thse de md., Paris, 1885, p. 25.)
Henri Bergson, Matire et mmoire. Essai sur la relation du corps l esprit. (1939) 93
tudes utiles qui prolongent l'excitation en raction approprie. Le premier ne
sortirait jamais du particulier, et mme de l'individuel. Laissant chaque
image sa date dans le temps et sa place dans l'espace, il verrait par o elle
diffre des autres et non par o elle leur ressemble. L'autre, toujours port par
l'habitude, ne dmlerait au contraire dans une situation que le ct par o elle
ressemble pratiquement des situations antrieures. Incapable sans doute de
penser l'universel, puisque l'ide gnrale suppose la reprsentation au moins
virtuelle d'une multitude d'images remmores, c'est nanmoins dans
l'universel qu'il voluerait, l'habitude tant l'action ce que la gnralit est
la pense. Mais ces deux tats extrmes, l'un d'une mmoire toute contem-
plative qui n'apprhende que le singulier dans sa vision, l'autre d'une mmoire
toute motrice qui imprime la marque de la gnralit son action, ne s'isolent
et ne se manifestent pleinement que dans des cas exceptionnels. Dans la vie
normale, ils se pntrent intimement, abandonnant ainsi, l'un et l'autre, quel-
que chose de leur puret originelle. Le premier se traduit par le souvenir des
diffrences, le second par la perception des ressemblances au confluent des
deux courants apparat l'ide gnrale.
Il ne s'agit pas ici de trancher en bloc la question des ides gnrales.
Parmi ces ides il en est qui n'ont pas pour origine unique des perceptions et
qui ne se rapportent que de trs loin des objets matriels. Nous les laisserons
de ct, pour n'envisager que les ides gnrales fondes sur ce que nous
appelons la perception des ressemblances. Nous voulons suivre la mmoire
pure, la mmoire intgrale, dans l'effort continu qu'elle fait pour s'insrer dans
l'habitude motrice. Par l nous ferons mieux connatre le rle et la nature de
cette mmoire ; mais par l aussi nous claircirons peut-tre, en les consid-
rant sous un aspect tout particulier, les deux notions galement obscures de
ressemblance et de gnralit.
En serrant d'aussi prs que possible les difficults d'ordre psychologique
souleves autour du problme des ides gnrales, on arrivera, croyons-nous,
les enfermer dans ce cercle : pour gnraliser il faut d'abord abstraire, mais
pour abstraire utilement il faut dj savoir gnraliser. C'est autour de ce
cercle que gravitent, consciemment ou inconsciemment, nominalisme et con-
ceptualisme, chacune des deux doctrines ayant surtout pour elle l'insuffisance
de l'autre. Les nominalistes, en effet, ne retenant de l'ide gnrale que son
extension, voient simplement en elle une srie ouverte et indfinie d'objets
individuels. L'unit de l'ide ne pourra donc consister pour eux que dans
l'identit du symbole par lequel nous dsignons indiffremment tous ces [ Pobierz całość w formacie PDF ]

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